Présentation et histoire du Kamishibai

Kamishibai présenté par Kyoko Sakai, Présidente de Doshin-sha

 

Le kamishibai (prononcez kamishibaï)  se présente sous la forme de planches illustrées que l’on glisse  dans un petit théâtre de bois, appelé « butai » (prononcez butaï).

Les illustrations qui figurent sur les planches racontent une histoire que le « conteur » va faire défiler par glissement, image après image, en lisant le texte qui se trouve au verso de chaque planche. Étant donné que chaque histoire complète doit être placée dans le butai avant sa représentation, le texte de la première image se trouve au dos de la dernière, et ainsi de suite.

Ce procédé est très employé au Japon dans les jardins d’enfants et dans les bunko, petites bibliothèques privées installées dans les appartements ou les maisons de particuliers, qui accueillent les enfants du quartier. Les bibliothèques publiques en possèdent également un grand nombre qu’elles prêtent à leurs usagers, le taux d’emprunts dépassant souvent celui des livres.

 

 

 

 

 

 

 

 

Un kamishibai se présente sous la forme de 8, 12, 16, voire 24 planches, dont la taille standard est de 26,5 cm x 38,2 cm. Il peut servir de support à des œuvres de fiction, histoires originales ou contes traditionnels, ou à des documentaires sur les animaux, les plantes, les nombres… Mais pour les éducateurs, les auteurs et les éditeurs qui se situent dans la lignée de Doshin-sha, il est absolument nécessaire que l’œuvre soit de bonne qualité, et surtout qu’elle puisse inspirer des sentiments partagés par le groupe. C’est ainsi que les histoires violentes, ou celles qui négligent l’importance de la vie ne seront pas retenues. Pour IKAJA, il s’agit avant tout d’un medium qui doit prôner les valeurs de paix et de partage.

Kyoko, Marie

“Un kamishibai pour la Paix”, colloque organisé par Ikaja à l’UNESCO en 2012, en collaboration avec la Petite Bibliothèque Ronde de Clamart.

 

 Les origines du kamishibai

 C’est dans les années 30, dans un quartier populaire de Tokyo, que le kamishibai voit le jour sous sa forme actuelle. La crise qui secoue le monde engendre un grand nombre de chômeurs au Japon. Pour tenter de gagner quelques sous, certains d’entre eux se déplacent à bicyclette en tirant derrière eux leur petit castelet. Ils s’installent dans la rue, dans les lieux de passage des enfants auxquels ils racontent des histoires tout en vendant des sucreries. Ce spectacle de rue prendra le nom de « kamishibai », autrement dit, « théâtre de papier ». En 1931, on compte près de 2000 personnes exerçant ce métier à Tokyo. Quant aux enfants, ils semblent tout à fait fascinés par ce type de spectacle qui va également intéresser des artistes et des éditeurs.

Dès 1932, Koji Kata  (1918-1998)
 réalise des kamishibai destinés à être interprétés dans la rue. Il poursuivra son travail pendant près de 30 ans et sera l’auteur de nombreuses œuvres. Critique et écrivain, après le déclin du Kamishibai de rue, on lui doit une intéressante étude sur L’histoire du Kamishibai pendant l’époque Showa du règne d’Hiro-Hito. Gozan Takahashi (1888-1965) est l’un des premiers créateurs de Kamishibai pour les jardins d’enfants.
C’est en hommage à son travail qu’a été crée le prix qui porte son nom et qui récompense toujours aujourd’hui la meilleure pièce de kamishibai.

 

Les promoteurs du kamishibai éducatif

Le kamishibai va également retenir l’attention des éducateurs. Kenya Matsungara (1907-1996), chercheur en sciences de l’éducation, produit plusieurs pièces, publie et promeut la diffusion du Kogai Kyoiku Kamishibai  (le Kamishibaï éducatif périscolaire). En 1938, il fonde l’Association du kamishibai éducatif au Japon. Il est accompagné dans cette aventure par le dramaturge Shunjiro Aoe (1904-1983) ainsi que par des créateurs qui s’impliquent dans ce mouvement, tel Daiji Kawasaki (1902-1980), dont l’œuvre comporte de nombreux contes traditionnels. Seishi Horio (1914-1991), connu pour son travail sur Kenji Miyazawa, célèbre auteur japonais, 
est également très actif dans cette association dès sa création.

Malheureusement, victime de son succès, le kamishibai va servir d’outil de propagande durant la seconde guerre mondiale. Les pièces de kamishibai, originairement fondées sur le libéralisme, vont exalter la guerre au fur et à mesure de son aggravation dans le Pacifique. En 1943, on compte neuf maison d’édition publiant des kamishibai dont le tirage moyen mensuel s’élève à 600 000 exemplaires.

Après la guerre, tandis que le Kamishibai de rue ressuscite (dans les années 50, à peu près 50 000 personnes en vivent, pour la plupart des travailleurs sans emploi), le kamishibai éducatif continue sa route. Keiko Inaniwa  (1916-1975), créatrice de kamishibai, va jouer un rôle important dans sa promotion. En 1948, elle fonde, en collaboration avec Daiji Kawasaki, Seishi Horio, Koji Kada, le Groupe démocratique pour le Kamishibai, qui deviendra plus tard le Cercle d’études du Kamishibai éducatif. Ce groupe qui fit faillite en 1955, déploie ses activités dans les domaines publicitaires, d’études et de publications. C’est la maison d’édition Doshin-sha qui lui succède. Keiko Inaniwa en devient le premier éditeur en chef en 1957 et crée Kodomono Bunka Kenkyujo  (Le Catalogue Culturel des enfants).

 Kinji MURAMATSU (1921-1999), fondateur de Doshin-sha avec son épouse, Keiko Inaniwa, dira que les années qui ont précédé la création de cette maison d’édition symbolisent la préhistoire du kamishibai et marquent un véritable tournant de rupture avec le kamishibai de propagande en affirmant une position pacifiste de respect de la vie, de la paix et des enfants. C’est toujours cette philosophie qui préside au travail actuel de Doshin-sha et de l’association IKAJA (International kamishibai association of Japan) que j’ai le plaisir et l’honneur de représenter en France.

Entrée du nouveau bâtiment de Doshin-sha à Tokyo

Salle de présentation des kamishibai

 

 

 

 

 

 

 

 

Les caractéristiques du kamishibai

Le kamishibai se différencie de l’album aussi bien par sa forme que par le lien qui s’établit entre la personne qui assure la représentation et les enfants. Le mode de représentation du kamishibai implique que l’œuvre ait été conçue à cette seule fin. C’est pourquoi un album illustré dont on découperait les pages ne peut en aucun cas être confondu avec un kamishibai. L’artiste qui illustre les planches fait en sorte que son travail s’adapte parfaitement à la façon de les glisser dans le butai. Cela signifie, par exemple, que tous les personnages ainsi que leurs actions sont conçus en fonction du sens de sortie des planches. De plus, les images doivent être simples, sans détails inutiles, et peintes avec des aplats de couleur, de façon à ce que l’ensemble des motifs puisse être vu de loin.

Pour les chercheurs japonais qui travaillent sur le kamishibai, les différences avec l’album illustré résident également dans le mode de lecture, de représentation de ces deux media. L’album peut être lu par un enfant, sans qu’il y ait besoin d’un « médiateur ». L’enfant fait face au livre, où le texte et l’image sont associés, et tourne les pages à un rythme que lui seul décide. Il pénètre dans l’univers du livre en prenant conscience de sa propre existence. Si l’album est lu à l’enfant par un médiateur, c’est ce dernier qui tient le livre et tourne les pages. L’enfant et le lecteur rentrent dans l’univers de l’histoire, chacun de leur côté, aidés par le « ko », leur Moi. Ces expériences développent le sens de l’individualité.

Le kamishibai nécessite un lecteur pour l’interpréter. L’univers de l’histoire se répand dans l’espace réel, un espace qui est celui du public. Ce partage des sensations et de l’émerveillement de l’histoire racontée développe le sens du « kyokan », mot pour lequel nous n’avons pas d’équivalent et qui pourrait se traduire par « amitié par le biais des sensations partagées ». C’est grâce à cette culture du « kyokan » que les enfants peuvent appréhender un monde réellement humain. A une époque où le milieu environnant des enfants se dégrade, au Japon comme ailleurs, où les liens entre les êtres humains se distendent, les membres d’IKAJA pensent que le rôle du kamishibai, basé sur la communication, est plus important que jamais. Le butai sépare l’espace du kamishibai du reste de la pièce et permet aux planches de rester stables. Son format est standard et adapté à celui des planches.

 

La représentation de Kamishibai

Pour que le kyokan soit effectif, il convient de particulièrement soigner la représentation de kamishibai. Il est tout d’abord nécessaire de bien connaître les œuvres que l’on choisit. Pour cela, il convient de les lire plusieurs fois et de répéter leur interprétation autant que nécessaire. Il est également très important de les apprécier car le lecteur doit partager avec son public le plaisir, l’émotion et « jouissance du monde ». Par ailleurs, la séance de kamishibai doit se dérouler dans le cadre d’un rituel très précis.

Noriko Matsui présentant l’un de ses kamishibai.

Masahiko

Lors de la convention d’Ikaja de 2007 à Tokyo, Masahiko Shimozono teste pour la première fois un butai « géant ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il doit comporter trois battants aux lignes bien définies qui vont mettre en valeur le glissement des planches vers l’extérieur. Il doit être placé légèrement plus haut que le niveau des yeux des enfants. Il existe au Japon des supports pour poser les butai. Ce sont des sortes de petites tables hautes qu’il convient de recouvrir d’un drap noir afin que rien ne vienne perturber l’enfant qui peut ainsi se concentrer sur l’image. C’est pour la même raison que le mur, derrière le butai, doit être absolument nu et que le conteur doit éviter de porter une tenue trop voyante.

Lorsque la séance commence, les planches sont à l’intérieur et le castelet est fermé. Son ouverture et sa fermeture, à la fin de l’histoire, fonctionnent comme un protocole de lecture.

Lorsque les enfants sont prêts, on ouvre les portes doucement, l’une après l’autre. Et l’histoire peut commencer…

Représentation de Kamishibai que j’ai eu le plaisir d’assurer dans un jardin d’enfants de Tokyo en 2007