Marie-Charlotte Delmas

Auteure & scénariste - Historienne des croyances et superstitions populaires

Beaucoup de légendes christianisées évoquent l’engloutissement de villages ou de personnes, en raison de leur impiété.

Le comte de Beaulaincourt rapporte en 1880 un récit du Pas-de-Calais et note que les anciens qui le lui ont raconté ne mettaient nullement en doute sa véracité :

« Il y a deux cents et quelques années, le 24 décembre, un château situé dans la vallée de l’Authie, à environ quatre kilomètres au sud-est d’Auxi, avait été disposé pour un réveillon auquel avait été invitée la bonne société du pays. […] un carrosse quittait à minuit quarante minutes un château, maintenant disparu, qui avait été bâti dans la même vallée, à environ une lieue à l’ouest de Doullens.

Le possesseur du carrosse et du château était un riche financier dont le seul dieu était l’argent ; aussi ne s’était-il pas inquiété d’aller à la messe de minuit, ni même à aucune messe de Noël.

Les chemins à cette époque étaient très mauvais. Pour arriver à temps, il avait fait mettre à son équipage quatre chevaux, dont chaque couple était conduit par un postillon ; deux laquais étaient sur le siège ; deux autres étaient debout derrière la voiture. Tous quatre portaient des falots allumés ; un cinquième à cheval, ayant une torche, précédait le premier attelage ; ces sept domestiques, le cocher, le palefrenier, les valets de pied, le jardinier et deux aides-jardiniers, étaient revêtus d’une brillante livrée or et rouge.

Le carrosse, tout neuf, était orné de sculptures dorées ; il contenait dans son intérieur le maître, sa femme et ses deux enfants. Ceux-ci, un jeune homme de vingt ans et une jeune fille de dix-huit, sans s’inquiéter de déplaire à Dieu, se proposaient beaucoup d’amusement.

Ainsi transportés, nos quatre amateurs de plaisir suivirent, fortement cahotés, la route de Doullens à Auxi, qu’ils devaient quitter à la hauteur de Beauvois-Rivière ; là ils prendraient à gauche un chemin de traverse qui les conduirait chez le marquis de L…, à travers un vaste marais. Ils venaient de s’y engager quand un vent très fort se mit à souffler. Les falots et la torche de leurs gens s’éteignirent ; les voilà dans une obscurité́ complète. Rien ne rendait possible de distinguer le chemin des fondrières voisines ; que faire ? Au ciel on n’apercevait aucune étoile, sur la terre aucune lueur indiquant des habitations peu éloignées.

Tout à coup apparut une lumière à une petite distance. Le maître de la voiture ne douta point que quelque paysan n’était rentré chez lui en revenant de la messe. Il ordonna à ses postillons de se diriger de ce côté ; mais Dieu avait voulu punir une famille impie qui bravait le Sauveur du monde dans la nuit rappelant celle de sa naissance.

La lumière aperçue était un feu follet ; il sortait d’une fontaine marécageuse dont aucun sondage n’a jamais pu déterminer l’énorme profondeur. Tout à coup les chevaux de devant du lourd véhicule s’enfoncent dans la boue ; le postillon leur donne de vigoureux coups de fouet ; ils avancent un peu, cédant à de semblables excitations ; les deux autres en font autant. Mais la terre manque à tout l’attelage ; bientôt il disparaît avec la voiture qu’il a entrainée dans l’abîme.

Ni maîtres ni domestiques ne savaient nager ; un seul ne fut pas englouti : le courrier, un père de famille, bien résolu d’assister à la messe du jour, avait trouvé grâce devant Dieu ; il dut son salut à la vigueur de son cheval. Quand il eut échappé́ au bourbier, le ciel était éclairci. Il put reconnaître son chemin ; il galopa jusqu’au château où son maître était attendu et annonça la catastrophe. Bon nombre d’invités, ne s’inquiétant pas du mauvais chemin, le suivirent dans une tentative pour sauver les victimes ; mais elle fut inutile, et avec de très longues perches on n’arriva pas à rien sentir de ce qui avait disparu. »

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