Les fées de Saint-Jacut (Côtes-d’Armor)

Un soir, tandis que la nuit commençait à tomber, un pêcheur de Saint-Jacut (Côtes-d’Armor) rentrait de la pêche, son panier sous le bras, en longeant les rochers au bas des falaises. Comme il marchait pieds nus sur le sable mouillé, nul ne pouvait entendre le bruit de ses pas. Pas même les fées qu’il aperçut soudain au détour d’une petite anse. Elles bavardaient entre elles devant leur grotte, dite la Houle Cosseu, sans se douter qu’elles étaient observées. Surpris et effrayé, il s’arrêta et les vit se frotter les yeux avec une sorte d’onguent. Aussitôt, elles se trouvèrent revêtues comme les paysannes du coin. Soudain, il les vit s’avancer dans sa direction et se cacha aussitôt derrière un gros rocher.

Les fées passèrent près de lui sans l’apercevoir et continuèrent leur chemin. Lorsque l’homme fut certain qu’elles s’étaient suffisamment éloignées, il sortit de sa cachette et se dirigea vers la grotte. Il avait peur, certes, mais sa curiosité était la plus forte. Il s’approcha du repaire des fées et récupéra un peu d’onguent sur la paroi de la roche. Il s’en barbouilla l’œil gauche, espérant recueillir ainsi un peu de pouvoir des fées et découvrir des trésors cachés. Quelques jours plus tard, il croisa une femme couverte de haillons qui mendiait de porte en porte et reconnut tout de suite l’une des fées qu’il avait vue sortir de la houle. La pommade des fées le rendait clairvoyant.  

Une autre fois, à la foire de Ploubalay, il les repéra de nouveaux sous leurs déguisements. Certaines disaient la bonne aventure ; d’autres entraînaient les naïfs dans des jeux de hasard où ils se faisaient prendre. Prudent, il évita de se laisser abuser par leurs manigances, et les fées comprirent qu’il pouvait les voir. Alors, l’une d’elle s’approcha de lui et lui creva, d’un coup de baguette, l’œil sur lequel il avait appliqué le mystérieux onguent. 

C’est ainsi que le grand Cangnard devint borgne pour avoir voulu savoir les secrets des fées de la mer.

Raconté vers 1860 par le docteur Carré, de Saint-Jacut. – Paul Sébillot, Littérature orale de la Haute-Bretagne, 1881.