Le poltergeist de Laroche-en-Brenil (Côte-d’Or) en 1898

Scènes du sabbat

Sous ce titre, on lisait dans le Bien Public, de Dijon.

22 mars. Un phénomène extraordinaire, pour ne pas dire incroyable, et qui relève de la sorcellerie ou de la magie et que plus de cent témoins, entre autres les notabilités de la commune, pourraient affirmer, s’est produit à Laroche-en-Brenil, samedi 19 courant dans la maison habitée par M. Garrié-Migné, tisserand. Il était 7 heures du soir, Garrié fut à peine couché que sa lampe s’éteignit brusquement, et, au même instant, retentit un bruit épouvantable. C’était l’horloge qui tombait de dessus sa boîte et se mettait à danser une sarabande infernale.

Il y a quinze jours, le balancier de ladite horloge frappait violemment les parois de la boîte : pour éviter ce bruit, Garrié eut une idée géniale, il dépendit le balancier et les poids afin d’arrêter le mouvement, qui ne marcha que de plus belle, les aiguilles tournant à grande vitesse autour du cadran et le timbre retentissant continuellement ; dépité, il s’en fut chercher un horloger qui, après examen, déclara qu’il n’y pouvait rien. Inquiet de ce bruit insolite, le pauvre homme se leva en toute hâte, ralluma sa lampe, ramassa l’horloge, la posa sur la table, mais elle retomba aussitôt ; affolé, il se mit à crier : Au secours ! Au secours ! Les voisins accoururent et leur fut permis d’assister de la porte à un spectacle peu banal, mais qui n’avait rien de rassurant. Les tables et les chaises se culbutaient. Les lits remuaient. La vaisselle, rangée en différents endroits, sautait de tous côtés et volait en éclats, dont l’un vint atteindre Garrié à la lèvre supérieure et lui fit une blessure légère. Des assiettes qui étaient dans une chaudière pleine d’eau faisaient des sauts d’un mètre et s’échappaient de leur récipient. Des pots de lait placés sur des rayons étaient renversés et leur contenu coulait à flots sur les carreaux. Un de ces pots fut transporté dans une chambre voisine sans être culbuté. Des cadres fixés au mur tombaient à terre. Garrié, montant sur une chaise afin de prendre un litre rempli d’un liquide quelconque, laissa son sabot à terre, mais, celui-ci, prenant son élan, alla retomber sur le rayon où était placé le litre. Les bouchons, rondelles et portes du poêle s’échappèrent à travers une fenêtre, brisant tous les carreaux et allèrent retomber dans la rue. Ceci pendant quatre longues heures.

Dimanche 20 courant, à 1 heure du tantôt, bris d’une assiette dans laquelle un enfant mangeait sa soupe. A 3 heures du tantôt, culbute d’un buffet adossé à un mur, en présence de nombreuses personnes. Ce phénomène cause au pauvre Garrié un préjudice d’au moins 100 francs et qui sait quand il s’arrêtera.

24 mars. Le phénomène extraordinaire que je vous ai signalé continue toujours de plus belle dans la maison du pauvre Garrié, de Laroche-en-Brénil.

Dans la nuit du 21 au 22, différentes personnes, entre autres M. le curé de la commune, y étaient allés pour voir ce qui allait se passer. En leur présence, une grande table massive, d’environ 3m30 de longueur, a été culbutée. Relevée, elle retombait quelques instants après, et ainsi de suite pendant plusieurs heures. Il en fut de même pour une petite table placée dans un coin. Dans la matinée du 22, le buffet, dont il a déjà été parlé et qui avait été remis à sa place habituelle s’avançait au milieu de la chambre en se balançant, comme s’il avait l’intention d’exécuter quelques pas de danse, et tombait. La grande table, qui avait culbuté la nuit, s’est tout d’un coup dressée debout et elle est retombée sur le poêle qui a été brisé. A chaque instant, les chaises sont culbutées. Le gamin, dont l’assiette s’était cassée dimanche, était assis sur une malle qui se mit à trembler : Mme Garrié lui dit de descendre, prévoyant ce qui allait arriver. Mais son dernier mot était à peine prononcé qu’il était violemment projeté à une certaine distance, et que ce meuble était culbuté. Pour en finir, on a été obligé de passer tout le mobilier dehors, excepté une armoire privilégiée, qui n’a pas encore été atteinte. On peut juger de la terreur de Garrié et de sa famille, voire même de tous les habitants de la localité dont quelques-uns émettent des suppositions diverses plus ou moins baroques sur les causes de ce phénomène ; l’un l’attribue à l’électricité, un autre à des émanations du sol, un autre à un « sorcier », etc.  Quel est celui qui a raison ? La chose est difficile à établir !

25 mars. Les meubles qui avaient été sortis hier, mais provisoirement, de la maison de Garrié et que l’on avait remis en place le soir même, continuent de sauter et de se culbuter. La grande table ronde tombe à chaque instant et est presque disloquée. Les chaises remuent de même. Ce matin, un fourneau sur lequel bouillait une casserole pleine d’eau, a été renversé. Relevé et allumé aussitôt, il se culbutait quelques minutes après. À tout moment, M. le maire et M. le curé sont appelés et se rendent sur les lieux. La gendarmerie, venue pour déterminer la cause, ne l’a pu. Son enquête n’a pas abouti, et elle a été obligée de se déclarer incompétente en cette matière. On le serait à moins. Les visiteurs affluent de tous les environs. C’est une allée et venue continuelle.

26 mars. Hier, continuation du phénomène. Mme Garrié avait mis une casserole pleine d’eau sur le fourneau dont il a été parlé hier ; elle a été renversée violemment, et aussitôt le fourneau, resté debout, se mettait à courir par la maison. Le gamin était debout contre la grande table qui se mit à trembler ; il fut repoussé par ce meuble qui se culbutait au même instant et dont les cabrioles se renouvellent à tout moment. M. Garrié ne se décourage pas ; quand un meuble se met en mouvement, il essaye de l’arrêter, se mettant devant et écartant les bras en criant : « Y va ben l’..rêter !… Diable tu vas fini !… » etc. Les voisins sont impressionnés et frappés à un tel point qu’ils ont presque cessé leur travail. M. le curé n’y comprend absolument rien et ne sait à quoi attribuer ces faits, il en est de même pour M. le docteur.

Dans la nuit du 22 au 23, M. le curé avait apporté un crucifix et de l’eau de Lourdes afin de conjurer le mauvais esprit. L’eau de Lourdes était contenue dans un vase de verre, qui fut placé sur une petite table ; à un moment donné, celle-ci s’est culbutée avec le verre qui ne s’était pas séparé d’elle dans sa chute, au point qu’il a été fracassé sous cette table et que des éclats étaient incrustés dans le bois. Quand on enleva le dessus de la table de nuit, celle-ci fut culbutée instantanément. Un fait à remarquer, c’est que ce phénomène se localise dans la grande chambre d’habitation, laissant indemne les autres chambres et hébergements divers.

Deux quêtes ont été faites parmi les visiteurs présents au profit de Garrié. L’une a produit 5 francs, l’autre 2 francs cinquante. Ces petites sommes l’aideront à remplacer la vaisselle brisée. Il semblerait que le malheur prenne plaisir à s’acharner sur ces pauvres gens vraiment dignes d’intérêt ; l’an dernier, Mme Garrié avait eu une jambe cassée ; elle était à peine guérie et commençait à marcher, qu’elle tombait et se cassait un bras en deux endroits. Un voisin de bonne foi affirme avoir, dans la soirée du 23, entendu craquer très fort deux gros peupliers plantés non loin de la maison hantée. L’affluence des curieux est toujours considérable. Ce n’est qu’une continuelle allée et venue de voyageurs de tous côtés.

27 mars. Le phénomène signalé se renouvelle à chaque instant. Dans la nuit du 24 au 25, en présence de plusieurs personnes notables et de bonne foi, la grande table a été culbutée à différentes reprises ; les chaises dansaient plus fort que jamais. Une, entre autres, sur laquelle était assis un gamin, s’est mise en mouvement s’avançant au milieu de la chambre avec son fardeau. C’est à ce gamin, à défaut d’autres explications, que l’on attribue maintenant la cause du phénomène.

28 mars. Quand tout le monde fut parti, Garrié se coucha ; il était à peine endormi que retentissait un bruit épouvantable : c’était l’horloge qui, avec sa boîte, s’affalait de tout son long sur le carreau où elle se brisait. Garrié eut tellement peur qu’il se leva et courut à la porte afin d’appeler les voisins. Il tenait le loquet pour ouvrir, lorsqu’il ressentit un choc violent : c’était un bol plein de son qui, placé sur un rayon à l’extrémité opposée, venait de prendre son élan et l’atteignait derrière la tête, lui faisant une forte bosse. Quand il fut recouché, les lits se mirent à tressauter et à trembler.

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Une lettre du curé de La Roche-en-Brenil

La Roche-en-Brenil, le 4 avril 1898

Les phénomènes relatés dans le Bien Public que vous citez sont exacts dans leur ensemble, à part quelques détails de temps, de durée, quelques-uns mêlés d’un peu d’exagération. Ainsi n’ai-je point entendu dire que la table en question se soit redressée d’elle-même, pour retomber sur le poêle et le briser ; elle avait été relevée par les personnes présentes, autant du moins que je me suis informé.

Voici ce dont j’ai été témoin : Appelé le lundi 21, vers 10 heures du soir, par les Garrié qui ne savaient plus à quel saint se vouer, je me suis presque aussitôt rendu à la maison où j’ai trouvé les tables couchées sur le côté dans l’état où elles étaient tombées, m’a-t-on dit. Je les ai relevées moi-même, et ai attendu. Jusqu’à 11 heures ¼, rien d’anormal ne s’est produit. Pour rassurer les Garrié, qui sont croyants, avant de les quitter j’ai béni simplement la maison selon le rituel romain : Benedictio domûs. J’ai ensuite placé sur la table un verre dans lequel j’ai versé un peu d’eau de Lourdes qui m’avait été donné par un pèlerin.

Je retournais chez moi, accompagné de deux jeunes gens, quand, à cinquante pas de la maison, un bruit violent se fait entendre, les Garrié fuient en poussant des cris. Nous retournons ; l’obscurité la plus complète régnait au logis hanté. J’entre ; la lampe qui avait été projetée à terre est retrouvée par l’enfant qui m’avait suivi ; je la rallume. Les deux tables étaient renversées, la plus grande, sur laquelle le verre avait été placé, sens dessus dessous.

A l’aide d’un des jeunes gens dont j’ai parlé, je relève la table et trouve mon verre brisé en morceaux à l’endroit même de la table où je l’avais placé ; il y avait imprimé, parfaitement marquée, sa trace ; des éclats de verre étaient incrustés tout autour.

Stupéfait, je l’avoue, je causais du phénomène avec le jeune homme qui m’avait aidé à redresser la table ; je tournais à moitié le dos à celle-ci ; mon interlocuteur la regardait quand, au bout d’une ou deux minutes, il s’écrie : « Tiens, la voilà qui part encore. »

Je me retourne, j’entends un bruit violent et sec, comme celui d’une forte branche qui casse sous un puissant effort, je vois la table renversée toujours sens dessus dessous à un demi-mètre environ de la place qu’elle occupait, un de ses coins s’était brisé dans la chute. Le guéridon ou petite table sur lequel j’avais placé mes ornements et un chapelet n’avait pas bougé.

Sans nous décourager, nous relevons la table ; j’y dépose mon crucifix. Je veux voir. Quelques instants après, mon vicaire, inquiet de mon absence prolongée, me rejoint ; je lui raconte les faits, cette fois tourné vers la table, et lui propose de demeurer encore. Pendant notre conversation, on entend un petit bruit comme celui d’une serrure qui grince. Mon abbé lève les yeux du côté d’où il semblait provenir ; il voit la table de nuit placée près du lit (à 35 ou 40 centimètres à peu près) s’incliner sur le côté et s’affaler sur le pavé. Le marbre, qui la recouvre, est détaché, le tiroir sorti de son alvéole avec ce qu’il contient. Le meuble est aussitôt redressé par nous-mêmes. Nous attendons trois quarts d’heure, sans qu’un phénomène nouveau se produise. Nous retournons à notre domicile, laissant plusieurs personnes décidées à tenir compagnie aux victimes de ces manifestations. Aucun bruit ni mouvement insolite n’a été constaté pendant le reste de la nuit.

Le « sabbat » a repris les jours suivants ; les mêmes objets : tables, chaises, buffets, pétrissoire, se renversaient à des intervalles plus ou moins rapprochés. La dernière scène s’est passée dans la nuit du jeudi 24 au vendredi 25, plus violente que les précédentes. L’enfant dont la présence était toujours constatée au moment des manifestations a été éloigné et la maison est entrée dans son calme habituel. Les visiteurs affluent quand même ; ils s’en retournent déçus.