Marie-Charlotte Delmas

Auteure & scénariste - Historienne des croyances et superstitions populaires

Scènes du sabbat

Sous ce titre, on lisait dans le Bien Public, de Dijon.

22 mars. Un phénomène extraordinaire, pour ne pas dire incroyable, et qui relève de la sorcellerie ou de la magie et que plus de cent témoins, entre autres les notabilités de la commune, pourraient affirmer, s’est produit à Laroche-en-Brenil, samedi 19 courant dans la maison habitée par M. Garrié-Migné, tisserand. Il était 7 heures du soir, Garrié fut à peine couché que sa lampe s’éteignit brusquement, et, au même instant, retentit un bruit épouvantable. C’était l’horloge qui tombait de dessus sa boîte et se mettait à danser une sarabande infernale.

Il y a quinze jours, le balancier de ladite horloge frappait violemment les parois de la boîte : pour éviter ce bruit, Garrié eut une idée géniale, il dépendit le balancier et les poids afin d’arrêter le mouvement, qui ne marcha que de plus belle, les aiguilles tournant à grande vitesse autour du cadran et le timbre retentissant continuellement ; dépité, il s’en fut chercher un horloger qui, après examen, déclara qu’il n’y pouvait rien. Inquiet de ce bruit insolite, le pauvre homme se leva en toute hâte, ralluma sa lampe, ramassa l’horloge, la posa sur la table, mais elle retomba aussitôt ; affolé, il se mit à crier : Au secours ! Au secours ! Les voisins accoururent et leur fut permis d’assister de la porte à un spectacle peu banal, mais qui n’avait rien de rassurant. Les tables et les chaises se culbutaient. Les lits remuaient. La vaisselle, rangée en différents endroits, sautait de tous côtés et volait en éclats, dont l’un vint atteindre Garrié à la lèvre supérieure et lui fit une blessure légère. Des assiettes qui étaient dans une chaudière pleine d’eau faisaient des sauts d’un mètre et s’échappaient de leur récipient. Des pots de lait placés sur des rayons étaient renversés et leur contenu coulait à flots sur les carreaux. Un de ces pots fut transporté dans une chambre voisine sans être culbuté. Des cadres fixés au mur tombaient à terre. Garrié, montant sur une chaise afin de prendre un litre rempli d’un liquide quelconque, laissa son sabot à terre, mais, celui-ci, prenant son élan, alla retomber sur le rayon où était placé le litre. Les bouchons, rondelles et portes du poêle s’échappèrent à travers une fenêtre, brisant tous les carreaux et allèrent retomber dans la rue. Ceci pendant quatre longues heures.

Dimanche 20 courant, à 1 heure du tantôt, bris d’une assiette dans laquelle un enfant mangeait sa soupe. A 3 heures du tantôt, culbute d’un buffet adossé à un mur, en présence de nombreuses personnes. Ce phénomène cause au pauvre Garrié un préjudice d’au moins 100 francs et qui sait quand il s’arrêtera.

24 mars. Le phénomène extraordinaire que je vous ai signalé continue toujours de plus belle dans la maison du pauvre Garrié, de Laroche-en-Brénil.

Dans la nuit du 21 au 22, différentes personnes, entre autres M. le curé de la commune, y étaient allés pour voir ce qui allait se passer. En leur présence, une grande table massive, d’environ 3m30 de longueur, a été culbutée. Relevée, elle retombait quelques instants après, et ainsi de suite pendant plusieurs heures. Il en fut de même pour une petite table placée dans un coin. Dans la matinée du 22, le buffet, dont il a déjà été parlé et qui avait été remis à sa place habituelle s’avançait au milieu de la chambre en se balançant, comme s’il avait l’intention d’exécuter quelques pas de danse, et tombait. La grande table, qui avait culbuté la nuit, s’est tout d’un coup dressée debout et elle est retombée sur le poêle qui a été brisé. A chaque instant, les chaises sont culbutées. Le gamin, dont l’assiette s’était cassée dimanche, était assis sur une malle qui se mit à trembler : Mme Garrié lui dit de descendre, prévoyant ce qui allait arriver. Mais son dernier mot était à peine prononcé qu’il était violemment projeté à une certaine distance, et que ce meuble était culbuté. Pour en finir, on a été obligé de passer tout le mobilier dehors, excepté une armoire privilégiée, qui n’a pas encore été atteinte. On peut juger de la terreur de Garrié et de sa famille, voire même de tous les habitants de la localité dont quelques-uns émettent des suppositions diverses plus ou moins baroques sur les causes de ce phénomène ; l’un l’attribue à l’électricité, un autre à des émanations du sol, un autre à un « sorcier », etc.  Quel est celui qui a raison ? La chose est difficile à établir !

25 mars. Les meubles qui avaient été sortis hier, mais provisoirement, de la maison de Garrié et que l’on avait remis en place le soir même, continuent de sauter et de se culbuter. La grande table ronde tombe à chaque instant et est presque disloquée. Les chaises remuent de même. Ce matin, un fourneau sur lequel bouillait une casserole pleine d’eau, a été renversé. Relevé et allumé aussitôt, il se culbutait quelques minutes après. À tout moment, M. le maire et M. le curé sont appelés et se rendent sur les lieux. La gendarmerie, venue pour déterminer la cause, ne l’a pu. Son enquête n’a pas abouti, et elle a été obligée de se déclarer incompétente en cette matière. On le serait à moins. Les visiteurs affluent de tous les environs. C’est une allée et venue continuelle.

26 mars. Hier, continuation du phénomène. Mme Garrié avait mis une casserole pleine d’eau sur le fourneau dont il a été parlé hier ; elle a été renversée violemment, et aussitôt le fourneau, resté debout, se mettait à courir par la maison. Le gamin était debout contre la grande table qui se mit à trembler ; il fut repoussé par ce meuble qui se culbutait au même instant et dont les cabrioles se renouvellent à tout moment. M. Garrié ne se décourage pas ; quand un meuble se met en mouvement, il essaye de l’arrêter, se mettant devant et écartant les bras en criant : « Y va ben l’..rêter !… Diable tu vas fini !… » etc. Les voisins sont impressionnés et frappés à un tel point qu’ils ont presque cessé leur travail. M. le curé n’y comprend absolument rien et ne sait à quoi attribuer ces faits, il en est de même pour M. le docteur.

Dans la nuit du 22 au 23, M. le curé avait apporté un crucifix et de l’eau de Lourdes afin de conjurer le mauvais esprit. L’eau de Lourdes était contenue dans un vase de verre, qui fut placé sur une petite table ; à un moment donné, celle-ci s’est culbutée avec le verre qui ne s’était pas séparé d’elle dans sa chute, au point qu’il a été fracassé sous cette table et que des éclats étaient incrustés dans le bois. Quand on enleva le dessus de la table de nuit, celle-ci fut culbutée instantanément. Un fait à remarquer, c’est que ce phénomène se localise dans la grande chambre d’habitation, laissant indemne les autres chambres et hébergements divers.

Deux quêtes ont été faites parmi les visiteurs présents au profit de Garrié. L’une a produit 5 francs, l’autre 2 francs cinquante. Ces petites sommes l’aideront à remplacer la vaisselle brisée. Il semblerait que le malheur prenne plaisir à s’acharner sur ces pauvres gens vraiment dignes d’intérêt ; l’an dernier, Mme Garrié avait eu une jambe cassée ; elle était à peine guérie et commençait à marcher, qu’elle tombait et se cassait un bras en deux endroits. Un voisin de bonne foi affirme avoir, dans la soirée du 23, entendu craquer très fort deux gros peupliers plantés non loin de la maison hantée. L’affluence des curieux est toujours considérable. Ce n’est qu’une continuelle allée et venue de voyageurs de tous côtés.

27 mars. Le phénomène signalé se renouvelle à chaque instant. Dans la nuit du 24 au 25, en présence de plusieurs personnes notables et de bonne foi, la grande table a été culbutée à différentes reprises ; les chaises dansaient plus fort que jamais. Une, entre autres, sur laquelle était assis un gamin, s’est mise en mouvement s’avançant au milieu de la chambre avec son fardeau. C’est à ce gamin, à défaut d’autres explications, que l’on attribue maintenant la cause du phénomène.

28 mars. Quand tout le monde fut parti, Garrié se coucha ; il était à peine endormi que retentissait un bruit épouvantable : c’était l’horloge qui, avec sa boîte, s’affalait de tout son long sur le carreau où elle se brisait. Garrié eut tellement peur qu’il se leva et courut à la porte afin d’appeler les voisins. Il tenait le loquet pour ouvrir, lorsqu’il ressentit un choc violent : c’était un bol plein de son qui, placé sur un rayon à l’extrémité opposée, venait de prendre son élan et l’atteignait derrière la tête, lui faisant une forte bosse. Quand il fut recouché, les lits se mirent à tressauter et à trembler.

***

Une lettre du curé de La Roche-en-Brenil

La Roche-en-Brenil, le 4 avril 1898

Les phénomènes relatés dans le Bien Public que vous citez sont exacts dans leur ensemble, à part quelques détails de temps, de durée, quelques-uns mêlés d’un peu d’exagération. Ainsi n’ai-je point entendu dire que la table en question se soit redressée d’elle-même, pour retomber sur le poêle et le briser ; elle avait été relevée par les personnes présentes, autant du moins que je me suis informé.

Voici ce dont j’ai été témoin : Appelé le lundi 21, vers 10 heures du soir, par les Garrié qui ne savaient plus à quel saint se vouer, je me suis presque aussitôt rendu à la maison où j’ai trouvé les tables couchées sur le côté dans l’état où elles étaient tombées, m’a-t-on dit. Je les ai relevées moi-même, et ai attendu. Jusqu’à 11 heures ¼, rien d’anormal ne s’est produit. Pour rassurer les Garrié, qui sont croyants, avant de les quitter j’ai béni simplement la maison selon le rituel romain : Benedictio domûs. J’ai ensuite placé sur la table un verre dans lequel j’ai versé un peu d’eau de Lourdes qui m’avait été donné par un pèlerin.

Je retournais chez moi, accompagné de deux jeunes gens, quand, à cinquante pas de la maison, un bruit violent se fait entendre, les Garrié fuient en poussant des cris. Nous retournons ; l’obscurité la plus complète régnait au logis hanté. J’entre ; la lampe qui avait été projetée à terre est retrouvée par l’enfant qui m’avait suivi ; je la rallume. Les deux tables étaient renversées, la plus grande, sur laquelle le verre avait été placé, sens dessus dessous.

A l’aide d’un des jeunes gens dont j’ai parlé, je relève la table et trouve mon verre brisé en morceaux à l’endroit même de la table où je l’avais placé ; il y avait imprimé, parfaitement marquée, sa trace ; des éclats de verre étaient incrustés tout autour.

Stupéfait, je l’avoue, je causais du phénomène avec le jeune homme qui m’avait aidé à redresser la table ; je tournais à moitié le dos à celle-ci ; mon interlocuteur la regardait quand, au bout d’une ou deux minutes, il s’écrie : « Tiens, la voilà qui part encore. »

Je me retourne, j’entends un bruit violent et sec, comme celui d’une forte branche qui casse sous un puissant effort, je vois la table renversée toujours sens dessus dessous à un demi-mètre environ de la place qu’elle occupait, un de ses coins s’était brisé dans la chute. Le guéridon ou petite table sur lequel j’avais placé mes ornements et un chapelet n’avait pas bougé.

Sans nous décourager, nous relevons la table ; j’y dépose mon crucifix. Je veux voir. Quelques instants après, mon vicaire, inquiet de mon absence prolongée, me rejoint ; je lui raconte les faits, cette fois tourné vers la table, et lui propose de demeurer encore. Pendant notre conversation, on entend un petit bruit comme celui d’une serrure qui grince. Mon abbé lève les yeux du côté d’où il semblait provenir ; il voit la table de nuit placée près du lit (à 35 ou 40 centimètres à peu près) s’incliner sur le côté et s’affaler sur le pavé. Le marbre, qui la recouvre, est détaché, le tiroir sorti de son alvéole avec ce qu’il contient. Le meuble est aussitôt redressé par nous-mêmes. Nous attendons trois quarts d’heure, sans qu’un phénomène nouveau se produise. Nous retournons à notre domicile, laissant plusieurs personnes décidées à tenir compagnie aux victimes de ces manifestations. Aucun bruit ni mouvement insolite n’a été constaté pendant le reste de la nuit.

Le « sabbat » a repris les jours suivants ; les mêmes objets : tables, chaises, buffets, pétrissoire, se renversaient à des intervalles plus ou moins rapprochés. La dernière scène s’est passée dans la nuit du jeudi 24 au vendredi 25, plus violente que les précédentes. L’enfant dont la présence était toujours constatée au moment des manifestations a été éloigné et la maison est entrée dans son calme habituel. Les visiteurs affluent quand même ; ils s’en retournent déçus.

L'affaire d'HUPHOLLAND en 1905

« La maison hantée de Upholland : l’histoire d’un mystère inexpliqué par S.-S. Swithaine. » (Wide World Magazine. London, février 1905)

  » Les faits ont été vérifiés et collationnés sur place, en présence des phénomènes extraordinaires qui se sont produits nuitamment et avec persistance dans une vieille maison du village d’Upholland (Lancashire). Ces faits sont de notoriété publique dans tout le district et le témoignage des personnes qui ont conduit les investigations est au-dessus de toute suspicion. Chacun se formera son opinion. »

Des manifestations qui détiennent sans doute le record de l’étrangeté déconcertante et qui continuent à l’heure où écrit l’auteur de ces lignes, viennent d’avoir pour théâtre le petit village abbatial, désuet et datant du vieil âge qu’est Upholland. Il est situé à environ quatre milles de Wigan, la cité charbonnière du Lancashire.

Le village d’Upholland appartient au passé. Les maisons anguleuses et biscornues ont des murs épais comme des murailles de forteresses. Les rues étroites et serpentant ne livreraient pas passage en bien des endroits à un tombereau attelé d’un cheval. On parcourrait en vain toute l’Angleterre pour trouver un cadre plus idéalement approprié aux manifestations mystérieuses qui déroutent depuis longtemps toute une contrée.

La maison hantée est elle-même une des plus anciennes et des plus typiques de l’endroit. C’est un bâtiment en pierre haut de trois étages, qui autrefois devait communiquer avec l’ancienne abbaye. Les murs ont plusieurs pieds d’épaisseur et devant les fenêtres – intérieurement – se trouve un retrait correspondant à l’épaisseur des murs.

La maison est occupée par une veuve, Mme Winstantley, et sa famille composée de trois filles et de quatre garçons adolescents. La maison domine la vieille église et le cimetière de l’abbaye. Dans ce cimetière, juste au-dessous de la fenêtre de la chambre hantée, se trouve sous un amas de pierres la tombe de Georges Lyon.

 

George Lyon était un notoire voleur de grands chemins, qui florissait au début du siècle dernier. Ce fut, dit-on, le dernier malfaiteur pendu en Lancashire. Sûrement, jamais maison hantée ne fut mieux située comme cadre, que celle-ci, dominant à la fois la tombe d’un voleur de grand chemin et les ruines d’un ancien monastère où les moines, au temps jadis, travaillèrent, prièrent et moururent.

Les scènes dramatiques ont commencé une nuit de dimanche, au mois d’août dernier. Trois des enfants de Mme Winstantley étaient couchés, lorsqu’ils furent subitement éveillés par des coups violents, frappés dans le mur de la pièce. Comme, encore dans le demi-sommeil, ils demandaient : « Qui est là ? » aucune voix ne leur répondit. Mais les coups continuèrent sans interruption et paraissant être frappés, non pas sur le mur, mais provenir de l’intérieur même de ce mur. Les trois enfants sont saisis d’une indicible terreur. Puis, les rideaux qui masquent le retrait de la fenêtre, utilisé comme porte-manteau, sont violemment arrachés, projetés sur le lit en recouvrant la tête des enfants. Entre temps, les coups s’accentuent et augmentent de violence. Le papier du mur se déchire par larges bandes et des morceaux de plâtre et de ciment volent à travers la chambre, projetés par une force inconnue. Les enfants sont blottis dans leur lit sans oser faire un mouvement. Les pierres du soubassement de la fenêtre tombent avec un bruit sourd sur le plancher. Cette scène ne prend fin qu’avec les premières lueurs de l’aube.

Pendant quelques jours, cette remarquable aventure fut tenue secrète, puis un conseiller municipal (local councillor), M. Baxter, eut vent de la chose. Accompagné de deux hommes de confiance, il va monter la garde dans la chambre hantée, ce qui n’empêche pas l’agent mystérieux de poursuivre son œuvre de démolition. Les nuits se succèdent et les mêmes phénomènes se reproduisent.

Lorsque les faits lui furent rapportés, le conseiller Baxter inclinait à penser qu’avec un peu de flair il arriverait à mettre la main au collet du fantôme. Il se trompait. Avec ses compagnons, il s’installe dans la chambre hantée, assis près du lit des enfants Winstantley. On éteint les lumières et aussitôt la sarabande commence. Le papier se déchire tout seul et le plâtre des murailles vient s’aplatir sur le parquet. Un des enfants Winstantley est pris d’une crise de terreur nerveuse telle que ses deux frères ont toutes les peines du monde à le maintenir dans son lit. Effarés, les deux compagnons du conseiller Baxter s’enfuient en déclarant qu’ils ne resteront pas plus longtemps dans la maison.

Le lendemain, un « policeman » local apporte avec lui une lampe électrique de poche, s’allumant instantanément. Aussitôt que le « constable » tourne le contact et que la lumière paraît, les phénomènes cessent comme par enchantement et tout devient tranquille. La foule qui stationne dans la rue entend nettement les jets de pierres et de plâtras ; mais elle constate qu’elle n’entend plus rien dès que la fenêtre s’éclaire. 

Cependant, la situation devient sérieuse ; les rumeurs grossissent en se propageant au sujet de ce qui se passe dans la maison hantée. Tous les soirs, à la tombée de la nuit, une foule immense arrive de tous les alentours. Chaque soir, la multitude augmente, si bien qu’après quelque temps on a dû décupler les forces de police de la localité. Chaque samedi, c’est un véritable exode des pays avoisinants, à des milles à la ronde, et une véritable armée de visiteurs donne des allures de campement au village d’ordinaire si paisible de Upholland.

Finalement, trois conseillers municipaux, MM. Bibby, Baxter et Lornegan, hautement respectables et d’intègre réputation décident de vider la question à tout prix et de monter la garde dans la chambre hantée. Leurs expériences furent faites avec une minutie extrême. On constate d’abord que l’agent destructeur n’opère que dans l’obscurité et lorsqu’un des frères Winstantley est couché dans le lit. Ultérieurement, néanmoins, les phénomènes se produisent à la lueur d’une très faible veilleuse. Patiemment, les trois conseillers passent des nuits dans la chambre hantée, jusqu’à trois heures du matin, munis d’un appareil d’éclairage intensif et immédiat dans le but de découvrir la source des « troubles ». Pendant ces nuits d’investigation, un des frères Winstantley passe la nuit dans la chambre. Ses deux autres compagnons de lit, terrorisés, ne veulent rien entendre. Le conseiller municipal Bibby, homme pratique, depuis longtemps dans les affaires, décrit les coups frappés dans la muraille, comme ressemblant à s’y méprendre aux bruits qu’on entend dans le bureau télégraphique, produits par le contact des appareils transmetteurs. Il est convaincu que les coups ne sont point frappés par une main humaine. Après chaque coup on entend une sorte de sifflement et les plâtras sont projetés dans tous les sens à travers la pièce. Certains de ces débris ont été exposés comme des reliques dans la vitrine d’un commerçant du pays. 

Le conseiller Bibby déclare que les pierres sont projetées vers lui de l’angle le plus éloigné de la chambre en décrivant un angle droit, puis, rebroussant chemin, elles filent en diagonale dans la direction de la pièce voisine. Ceci, déclare le conseiller Bibby, est une des circonstances les plus étranges de toute l’affaire et on ne voit pas comment une main humaine pourrait ainsi se jouer des lois naturelles. Mais après une étude approfondie des phénomènes au point de vue psychologique et physiologique, le conseiller laisse la porte ouverte à la supposition de la manifestation d’une loi encore inconnue et inexpliquée. Sans y ajouter de commentaires, le conseiller raconte certains détails de ses expériences. Il tire son canif et essaye de détacher du papier qui tapisse la muraille. Ce papier est si fortement collé et adhérent, qu’il a grand’peine à en détacher la surface d’une pièce d’un shilling. Mais, à peine la lumière est-elle éteinte que le papier se déchire de lui-même par larges lanières, aux endroits mêmes que la lame du canif n’avait pu entamer. Une autre fois, il prend un morceau de ce papier, large comme un « penny », et le place sur une pierre, reposant sur l’entablement de la fenêtre en retrait. Puis il éteint la lumière ; aussitôt les phénomènes se reproduisent, les pierres volent de toutes parts. 

La lumière est ensuite rallumée. L’entablement de la fenêtre est en partie démoli, la pierre qui y était posée se trouve sur le lit. Le papier, léger comme une plume d’oiseau, se trouve toujours sur la pierre, bien que celle-ci ait été projetée avec une extrême violence au travers de la pièce. Et le conseiller conclut ainsi : « Si, contre toute possibilité, ces choses sont l’œuvre d’un sorcier en chair et en os, je puis dire qu’il ne s’y connaît pas en affaires. L’instinct commercial lui fait défaut. C’était choisir un bien piètre théâtre que le petit village de Upholland, quand Blackpool (synonyme de Barnum) lui eut offert une jolie somme pour faire de ses performances un numéro de programme. »

Le conseiller Lonergan était au début des plus sceptiques, c’est pourquoi il a apporté d’autant plus de conscience et de persévérance dans ses investigations. Il était assis dans la pièce attenant à la chambre hantée lorsque l’entablement de la fenêtre vola en éclats et fut projeté de tous côtés. Le conseiller Lonergan, un homme qui a des propensions religieuses, ne peut se contenir davantage et, pénétrant dans la chambre hantée, il frappe des mains et crie à haute voix : « Au nom du Seigneur, parlez ! » (In the name of the Lord, speak !) Aucune réponse.

Les trois conseillers investigateurs ramassent les débris épars sur le plancher de la chambre, les replacent en les enfonçant profondément dans les alvéoles de l’épaisse muraille. Mais à peine la lumière est-elle éteinte que ces mêmes pierres sont projetées au milieu de la pièce.

La police a multiplié ses patrouilles et ses investigations dans le district. Des habitants dignes de toute confiance ont cherché à pénétrer le mystère sans pouvoir l’éclaircir. Les gens superstitieux déclarent que l’esprit frappeur n’est autre que le fantôme du supplicié George Lyon, venant visiter des lieux qui lui étaient familiers. Lyon, tout en étant voleur de grands chemins, aurait de son vivant habité la maison hantée.

Un « spirite éminent » estime que les manifestations émanent d’un noir esprit qui ne peut se matérialiser.

Des experts en maçonnerie ont été appelés pour examiner la maison et la cheminée. Les murs ont été cimentés à nouveau, mais dès le lendemain ils recommençaient à voler en éclats et les scènes continuent toujours ! Ces phénomènes ont causé dans toute l’Angleterre une immense émotion. La Psychical Research Society (Société des recherches psychiques) vient d’envoyer un de ses membres les plus autorisés, le colonel Taylor, pour procéder sur les lieux mêmes à une minutieuse enquête. R. M.