Marie-Charlotte Delmas

Auteure & scénariste - Historienne des croyances et superstitions populaires

Présenter un kamishibai

Le kamishibai se différencie de l’album aussi bien par sa forme que par le lien qui s’établit entre la personne qui assure la représentation et les enfants. Le mode de représentation du kamishibai implique que l’œuvre ait été conçue à cette seule fin. C’est pourquoi un album illustré dont on découperait les pages ne peut en aucun cas être confondu avec un kamishibai.

Pour les chercheurs japonais qui travaillent sur le kamishibai, les différences avec l’album illustré résident également dans le mode de lecture, de représentation de ces deux media. L’album peut être lu par un enfant, sans qu’il y ait besoin d’un “médiateur”. L’enfant fait face au livre, où le texte et l’image sont associés, et tourne les pages à un rythme que lui seul décide. Il pénètre dans l’univers du livre en prenant conscience de sa propre existence. Si l’album est lu à l’enfant par un médiateur, c’est ce dernier qui tient le livre et tourne les pages. L’enfant et le lecteur rentrent dans l’univers de l’histoire, chacun de leur côté, aidés par le ko, leur Moi. Ces expériences développent le sens de l’individualité.
 Le kamishibai nécessite un lecteur pour l’interpréter. L’univers de l’histoire se répand dans l’espace réel, un espace qui est celui du public. Le partage des sensations et de l’émerveillement de l’histoire racontée développe le sens du kyokan, mot pour lequel nous n’avons pas d’équivalent et qui pourrait se traduire par “amitié par le biais des sensations partagées”. C’est grâce à cette culture du kyokan que les enfants peuvent appréhender un monde réellement humain. À une époque où le milieu environnant des enfants se dégrade, au Japon comme ailleurs, où les liens entre les êtres humains se distendent, les membres d’IKAJA, dont je fais partie, pensent que le rôle du kamishibai, basé sur la communication, est plus important que jamais.
Assises du Kamishibai, Tokyo

Pour que le kyokan soit effectif, il convient de particulièrement soigner la représentation de kamishibai. Il est tout d’abord nécessaire de bien connaître les œuvres que l’on choisit. Pour cela, il convient de les lire plusieurs fois et de répéter leur interprétation autant que nécessaire. Il est également très important de les apprécier car le lecteur doit partager avec son public le plaisir, l’émotion et la “jouissance du monde”. Par ailleurs, la séance de kamishibai doit se dérouler dans le cadre d’un rituel très précis.

Le butai sépare l’espace du kamishibai du reste de la pièce et permet aux planches de rester stables. Son format est standard et adapté à celui des planches.

Il doit comporter trois battants aux lignes bien définies qui vont mettre en valeur le glissement des planches vers l’extérieur. Il doit être placé légèrement plus haut que le niveau des yeux des enfants. Il existe au Japon des supports pour poser les butai. Ce sont des sortes de petites tables hautes qu’il convient de recouvrir d’un drap noir afin que rien ne vienne perturber l’enfant qui peut ainsi se concentrer sur l’image. C’est pour la même raison que le mur, derrière le butai, doit être absolument nu et que le conteur doit éviter de porter une tenue trop voyante.

Jadin d'enfants à Tokyo (Japon)
Namur (Belgique)
Bagneux (Hauts-de-Seine)
Un kamishibai pour la paix, à l'UNESCO

Afin de promouvoir la diffusion et la pratique du kamishibai en France, le conseil d’IKAJA a sélectionné et traduit en français des pièces puisées dans l’important fonds des éditions Doshin-Sha. Le choix s’opère en fonction de la qualité de l’œuvre, mais aussi en fonction de sa compréhension par un public d’enfants européens. Ce travail est loin d’être simple. Le nombre réduit de planches, les importantes ellipses, impliquent une vraie connivence entre l’enfant, les personnages et l’histoire. Or, beaucoup de contes et d’histoires japonaises présentent des personnages — renard, sorcière, singe… — dont le caractère et la fonction symbolique sont éloignés de ceux de l’Occident. Lorsque je me suis rendue chez les éditions Doshinsha à Tokyo, afin de choisir de nouveaux kamishibai susceptibles d’être traduits en français, j’ai dû rejeter pas mal d’histoires intéressantes, mais qui auraient nécessité une explication préalable pour être comprises et appréciées des petits français.

Kamishibai hall chez Doshin-Sha, Tokyo