Au temps jadis, les fées étaient en grand nombre et fort redoutées dans le Livradois. Qu’est-ce qui leur fit jeter les hauts cris et proférer des menaces horribles qui faisaient dresser les cheveux sur la tête à ceux qui les entendaient ? Qui est-ce qui enfin leur fit détruire pendant les nuits les plus courtes tout ce que les travailleurs avaient eu tant de peine à faire tout le long des plus longs jours de la Saint-Jean ? Et leurs outils brisés, éparpillés aussi menu que pailles et allumettes !
Ah ! voilà ! c’est qu’en brisant et en retournant tous ces rochers, on était arrivé jusqu’aux cavernes profondes où habitaient les Fades, on avait profané leurs retraites mystérieuses, violé, dévasté leur domicile, et que, pour comble d’attentat, on avait enlevé nombre de leurs progénitures qu’elles aimaient comme tout, et qu’on ne leur avait laissé que les yeux pour pleurer.
Aussi, bientôt, pleurs pour pleurs, désolation pour désolation ! Un beau matin, elles enlèvent tous les nouveau-nés chrétiens des environs. Et les pauvres mères ! A toutes leurs plaintes, à toutes leurs supplications, elles répondent :
Randa nous noutri Fadou
Vous randren voutri Saladou
(Rendez-nous votre faitaud, nous vous rendrons votre salé, baptisé).
Force fut bien de promettre l’échange. Ce qui fut dit fut fait.
Les enfants chrétiens étaient entre les bras de leurs mères qui ne se sentaient pas de joie. Déjà les Fades élevaient les leurs pour les embrasser, lorsque, ô rage ! elles aperçoivent sur les lèvres de leurs nourrissons le sel baptismal Bientôt leurs petites mains se portent au front, à la poitrine, à l’épaule gauche, à la droite. Plus de doute, on les a faits chrétiens, les voilà “défadés”. Et cependant, avant le baptême, c’étaient de vilains petits monstres ; maintenant jolis comme des anges.
Rien n’y fait, car, au lieu d’être charmées, les Fades les repoussent durement et les déposent en toute hâte, qui sur des rochers, qui sur des branches d’arbres, et s’enfuient en poussant des cris aigus.
C’est dans les rochers de Morel et dans les profondeurs si redoutées de la Vaure qu’elles vont cacher leur honte et leur malheur. Elles ne disparurent toutefois du pays qu’au temps où l’on commença à sonner l’Angelus.
Pour leurs enfants, ils ne furent pas longtemps orphelins. C’était à qui mieux mieux pour en avoir soin, quant au salut de l’âme et du corps ; les mères les regardaient comme des nourrissons que le ciel leur avait confiés, les enfants comme des frères ou des soeurs. Plus tard, il y eut même des mariages entre eux qui achevèrent de confondre les races.
Abbé Grivel, Chroniques du Livradois, 1852 – Paul Sébillot, Littérature orale de l’Auvergne, 1898.
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