Marie-Charlotte Delmas

Auteure & scénariste - Historienne des croyances et superstitions populaires

La fée de Saint-Juvat (Côtes-d'Armor)

Au temps jadis, il y avait à Saint-Juvat un laboureur du nom de Boutin qui possédait plusieurs champs, et parmi eux celui qu’on appelle encore les Pâtures Boutin. 

Chaque matin, en allant voir sa récolte, le bonhomme constatait que le bétail venait la brouter, et il reconnut les pas d’une vache. Plusieurs voisins lui dirent qu’on voyait souvent dans son blé une vache qu’on ne connaissait point pour appartenir à une personne du pays. 

Le bonhomme Boutin se mit en embuscade pour la guetter. Dès la première nuit, il l’aperçut et parvint à la saisir par la queue. La vache se mit à fuir et l’entraîna plus vite qu’il n’aurait voulu vers la Pâture, où un trou s’ouvrit. 

Il y entra à sa suite et se trouva au milieu d’un beau palais, où il vit beaucoup de fées. Il lâcha la queue de la vache, et une des fées lui demanda ce qu’il voulait. 

Boutin, qui était un peu avare, voyait autour de lui de l’or et de l’argent à remuer à la pelle, et il dit qu’il était venu pour qu’on lui payât le dommage fait à sa récolte.

– Combien voulez-vous ? lui demanda la fée.
– Vous pouvez bien me bailler un quart (mesure) d’argent, répondit le bonhomme.
– Qu’à cela ne tienne ! mais nous n’avons pas de quart ici ; allez en chercher un à la Sigonnière, et nous vous le remplirons.

Le bonhomme Boutin sortit du château des fées, et courut à sa maison le plus vite  qu’il put ; mais le trou par où il était sorti s’était bouché, et il ne put jamais en retrouver l’entrée.  Pendant le restant de ses jours, il fouilla la pâture, la bouleversa en tous sens, creusa des galeries, mais ne put découvrir la porte du palais des fées. En revanche, il mit à jour une carrière de sablon, et c’est la première qui a été exploitée dans le pays.

 

Paul Sébillot, [Les] travaux publics et les mines dans les traditions et les superstitions de tous les pays, 1894