Il y avait une fois deux hommes qui fauchaient une prairie : quand arriva midi, ils s’assirent à l’ombre et se mirent à manger avec appétit. Ils laissaient tomber sur le gazon des miettes de pain, et une couleuvre sortait de la haie et, se glissant doucement, venait les ramasser, sans paraître avoir peur des deux faucheurs.
– Regarde donc, dit l’un d’eux à son compagnon, la jolie petite bête qui vient manger nos miettes.
– Dis donc plutôt, répondit l’autre, le vilain vlin [reptile] rampant ; si la couleuvre passe à portée de ma faux, je la couperai en deux, aussi vrai que je suis le fils de ma mère.
– Ce serait dommage de tuer ce gentil petit animal qui n’est point farouche, et qui ne fait de mal à personne : passe encore si c’était une vipère ou bien un aspic.
Pendant qu’ils devisaient de la sorte, la couleuvre avait disparu dans les herbes de la haie, et les deux hommes se remirent à l’ouvrage et fauchèrent le pré sans s’occuper davantage de la bête qui avait mangé les débris de leur repas.
Au soir, ils se quittèrent pour retourner chacun dans son village ; en s’en allant, Féche, ou si vous aimez mieux François Baon, passait auprès des Roches aux Fées de la Brousse ; sur le bord du chemin, il vit une Margot la fée, qui paraissait l’attendre, et qui l’appela par son nom :
– Fèche Baon, voici deux ceintures que je te donne ; il y en a une pour toi, et l’autre pour celui qui tantôt fauchait avec toi ; mais fais bien attention à ne pas te tromper ; j’ai marqué avec un ruban la ceinture qui t’est destinée. avoir dit ces mots, la Margot la fée disparut, avant que Féche eût eu le temps de la remercier. Féche regarda la ceinture qui avait un ruban, et qui lui paraissait lourde, et il trouva qu’elle était remplie d’or.
Il se souvint alors de la couleuvre qu’il avait vue venir manger les miettes de pain, et comme il savait que les Margot la fée ont le pouvoir de prendre toutes les formes qu’elles veulent, il pensa que la gentille couleuvre était une fée qui avait écouté la conversation des deux faucheurs. Il se dit que puisqu’elle avait récompensé celui qui l’avait défendue, elle pouvait avoir eu envie de se venger de son camarade qui voulait la tuer. C’est pourquoi, avant de lui remettre la ceinture, il l’attacha au pied d’un chêne, et alla se coucher. Le lendemain, l’arbre avait toutes ses feuilles flétries, et il ne tarda pas à mourir.
Conté en 1879 par Pierre Derou de Collinée, Paul Sébillot, Contes populaires de la Haute-Bretagne, 1880
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