On ne parle plus des fées aujourd’hui… On dit qu’il n’y en a plus depuis que les prêtres ont eu l’idée de se signer avec la couverture du calice. Autrefois, tout en était plein… On ne les voyait pas souvent, mais on les entendait chanter et causer entre elles. On les voyait aussi, mais généralement de loin, laver leur linge dans le ruisseau de la vallée du Hubilan, seulement c’était la nuit au clair de lune…
Les fées étaient toutes petites, à ce que l’on disait, et il y avait parmi elles des hommes et des femmes. On ne voyait pas leur travail, elles travaillaient pourtant. Elles venaient parfois la nuit frapper aux portes. Elles ne prêchaient pas le patois, comme nous, elles parlaient français comme à la ville.
On les entendait crier :
– Prêtez-nous vos timons – Vos limons – Vos charrues comme ils iront.
Il fallait répondre :
– Oui, prenez ; autrement elles auraient trouvé moyen de vous faire du mal.
Quand on avait dit oui, elles allaient prendre la charrue à la charreterie et les chevaux à l’écurie, et elles labouraient leurs champs avec. Parfois aussi, elles se servaient des chevaux pour faire des courses. Alors, comme les fées sont des êtres très petits, elles montaient sur le cou et non sur la selle des chevaux et se faisaient des étriers de leurs crins, qu’on trouvait singulièrement emmêlés…
Il y avait un jour d’été des gens qui glanaient du lin. C’était une belle journée, les alouettes chantaient, les mériennes dansaient. A un moment où tout le monde se taisait, on entendit une voix de femme qui criait :
– Le four est chaud.
– Aurons-nous de la galette ? demanda une femme en riant.
On ne répondit pas, et elle eut peur d’avoir eu la langue trop longue. On continua à glaner le lin en silence. Quand vint le moment de se reposer, on s’assit à l’ombre d’un grand chêne et l’on alla chercher dans la haie, le pain, le beurre, le cidre qu’on avait mis au frais dans la fougère. À côté des provisions déposées, on trouva une belle serviette blanche, et dans la serviette une belle galette de pain blanc, toute chaude, du beurre bien frais, sans sel, dans un petit pot, et un couteau pour couper la galette. C’était la fée à qui on avait demandé de la galette qui avait apporté tout cela. On se partagea le présent de la fée, on mit du beurre dedans et on se régala bel et bien.
Puis, quand tout fut mangé, on remit soigneusement le pot et le couteau dans la serviette, on reporta le tout dans la fougère, à l’endroit où on l’avait trouvé. Un moment après on retourna voir ; il n’y avait plus rien…
Jean Fleury, Littérature orale de la Basse-Normandie, 1884
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