Marie-Charlotte Delmas

Auteure & scénariste - Historienne des croyances et superstitions populaires

La fée Mélusine

Mélusine doit son succès au roman qui la met en scène au XIVe siècle. C’est à la demande de Jean de Berry et de sa sœur, la duchesse de Bar, que Jean d’Arras rédige l’histoire des Lusignan et de la fée Mélusine. Commencé, selon les propres dires de l’auteur en 1387 et achevé en 1394, ce texte en prose est suivi, au début du XVe siècle, d’une version en vers écrite par un auteur nommé Couldrette, à l’attention de la famille de Parthenay, alliée aux Lusignan. Dans sa préface, Jean d’Arras dit s’être inspiré d’anciennes chroniques et la plupart des folkloristes s’accordent à dire que Mélusine ou la Mère-Lusine, était déjà connue dans le Poitou et qu’il pouvait s’agit du souvenir d’une antique déesse-mère.

Le récit commence près d’une fontaine, dans une forêt, avec la rencontre de la fée Pressine et d’Elinas, roi d’Albanie (Ecosse).Éperdument amoureux de cette créature d’une rare beauté, le roi l’épouse en jurant de respecter la condition exigée par la fée, laquelle lui interdit de venir la voir durant ses couches. Mais, tandis qu’elle met au monde trois filles, Mélusine, Melior et Palestine, Elinas rompt son serment et pénètre dans la chambre. Pressine disparaît aussitôt, emportant ses enfants avec elle « en Avalon, nommée l’Isle-Perdue ». Plus tard, dans le but de se venger de leur père, les trois sœurs décident de l’enfermer dans la haute montagne de Northumberland. Furieuse, Pressine les punit. Elle enferme Melior au château de l’Epervier en Arménie et Palestine dans le mont Canigou. Quant à Mélusine, elle est condamnée à se transformer en serpent, de la taille aux pieds, tous les samedis. La malédiction cessera si elle trouve un homme qui l’aime au point d’accepter de ne jamais la voir ce jour-là. La fée pourra alors bénéficier d’une vie de femme et de simple mortelle. Mélusine rencontre cet homme sur le site de Lusignan (Vienne), près de la Fontaine de Sé (Font-de-Cé, fontaine de la soif), dans la forêt de Coulombiers.

Raymondin de Lusignan succombe au charme de Mélusine, qui est avec deux compagnes, et accepte la condition qu’elle met à leurs épousailles. Jamais, il ne devra chercher à la voir le samedi. Le couple prospère, la fée met au monde dix fils dont chacun porte une difformité physique, le plus célèbre étant Geoffroy à la Grande Dent. Mais un jour, sur les conseils de son frère, le comte de Forez, Raymondin cherche à voir ce que fait sa femme le samedi. Il fait un trou dans la porte de la pièce où elle se baigne et découvre la seconde partie de son corps en forme de serpent. Cette première transgression sera passée sous silence, mais, une autre fois, alors que Raymondin s’emporte contre Geoffroy qui vient de brûler le monastère de Maillezais, Mélusine tente de le calmer et il la traite de « serpente ». Cette fois-ci, la malédiction va se réaliser et la fée est obligée de quitter les siens. Elle grimpe sur une fenêtre et s’envole sous la forme d’un serpent ailé. Seules les nourrices la reverront quand elle viendra, la nuit, s’occuper de ses derniers nés. Quant à Raymondin, fou de chagrin, il se fera ermite à Montserrat.