2 décembre : le lutin de l’Avent
En Ille-et-Vilaine, les paysans racontaient encore, au XIXe siècle, les méfaits d’une sorte de lutin protéiforme qu’ils nommaient Martine. Il était capable de se transformer en toutes sortes de bêtes, et même en objets. Si l’on voyait sur le chemin un couteau ou un peloton de laine qui n’avaient rien à y faire, mieux valait ne pas les ramasser. Si on les emportait chez soi, la nuit qui suivait promettait d’être vraiment affreuse. Le lutin renversait les meubles, brisait la vaisselle, ôtait les couvertures et battait ceux qui se trouvaient dessous.
Lorsque Martine se transformait en bête, elle apparaissait soudain au détour d’un chemin en une masse informe qui ressemblait à une vache, un bœuf, un cochon ou encore un mouton. Son plaisir consistait alors à effrayer et à faire enrager les paysans qui s’étaient attardés et s’en retournaient chez eux à la nuit tombée. Un soir, un vieux paysan de la commune de Montours rentrait tranquillement chez lui. Soudain, en passant dans un carrefour, il aperçut un mouton à l’allure étrange. Notre homme aurait dû se méfier, car les carrefours qui étaient des lieux sacrés dans l’Antiquité furent ensuite considérés comme des endroits maudits et l’on y planta des croix pour les christianiser. Mais, notre homme faisant fi de toute prudence, s’approcha naïvement de la bête. D’abord, elle le laissa venir sans bouger, puis fit mine de sauver et s’arrêta un peu plus loin. Le paysan la suivit. Et ce petit manège continua plusieurs fois jusqu’à l’entrée du cimetière. Le mouton y pénétra et le pauvre vieux, tout essoufflé, le suivit encore. Tout à coup, quelle ne fut pas sa surprise de le voir diminuer de volume. Il devint de la grosseur d’un chat, puis d’une belette et enfin disparut complètement.
On raconte aussi que les imprudents qui passaient entre onze heures et minuit sur la route de Montours, juste à l’entrée du bourg, apercevaient une ombre qui s’avançait sur eux et les rouait de coups avant de disparaître en riant aux éclats. C’était encore une des facéties de Martine. Tout cela n’était pas bien grave, d’autant que jadis, beaucoup de lutins se plaisaient à faire des farces aux humains. Mais, pendant la période de l’Avent, les être fantastiques étaient particulièrement dangereux et Martine n’échappait pas à la règle. C’est ainsi qu’une nuit de décembre, un robuste gaillard de Montours, qui n’avait peur de rien, décida de se rendre à l’endroit où ses compagnons avaient subi les malices du lutin. Il voulait savoir si ce qu’ils racontaient était vrai ou si un abus de vin n’était pas responsable de leur mésaventure. Il faisait froid cette nuit-là et comme il ne voyait rien ni personne, il commençait à s’impatienter. Il me mit à crier tout haut « Alors, où elle est cette bête ? » Une grosse voix répondit aussitôt « La voici ». Martine se jeta sur l’homme et une terrible lutte s’engagea. On ignore qui remporta la victoire car l’homme ne voulut jamais raconter dans le détail ce qui lui était arrivé. Il n’avait aucune blessure apparente, mais, quelques jours plus tard, il passa de vie à trépas sans aucune raison. Voilà pourquoi il ne faut surtout pas s’aventurer la nuit dans la campagne durant la période de l’Avent.