Poisson d’avril !
Quelle est l’origine du « poisson d’avril » ? A défaut de répondre avec précision à cette question, il est possible de répertorier les éléments dont nous avons connaissance par certains textes. Au XVIe siècle, l’expression « poisson d’avril » est employée pour qualifier un proxénète, un « maquereau ». En 1508, Eloy Darmeval (La Grant Diablerie) décrit un homme en le traitant de « maquereau infâme […] de maint homme et maint fame » et le qualifie de « Poisson d’avril ». En 1532, dans le livre V de son Pantagruel, Rabelais évoque aussi les « poissons d’avril », maquereaux « qui font pourrir les corps et enrager les âmes ». En 1548, Noël du Fail, parlant d’un seigneur qui veut corrompre la femme de son voisin, dit qu’il avait un « petit poisson d’avril », un laquais, qui épiait les allées et venues de ladite voisine. Ce rôle d’entremetteur se retrouve également en 1558 dans une nouvelle des Nouvelles récréations et joyeux devis de Bonaventure Des Périers, où une dame qui trouve un gentilhomme à son goût le fait suivre par le « petit poisson d’avril » qu’elle avait auprès d’elle et lui demande d’informer cet homme « que la dame qu’il a tantôt vue à la porte d’un tel logis se recommande à sa bonne grâce ». Ce nom de « maquereau » donné aux proxénètes et autres entremetteurs viendrait pour les uns d’une croyance attribuée à ce poisson qui suivrait les harengs et mènerait les femelles aux mâles, pour d’autres aux costumes clinquants des proxénètes et des prostituées.
En revanche, au Moyen Age, et bien après, on appelle également « poisson d’avril » le maquereau, poisson dont la pêche succède à celle du hareng, en avril. Le peuple, rassasié de hareng, voit arriver ce poisson frais. Mais le maquereau n’est pas toujours au rendez-vous en avril et les pêcheurs peuvent rentrer bredouilles. D’ailleurs, dans un ouvrage de 1693, l’auteur écrit, en parlant du maquereau : « Je crois vous avoir déjà fait observer que la bonté de ce poisson consiste dans sa fraîcheur, et que quoi qu’on le nomme du poisson d’avril, il n’en vient pas souvent un seul en ce mois-là, bien plus en mai, qui est sa plus naturelle saison. » (L.S.R., L’Art de bien traiter, 1693.) Cette pêche vaine, début avril, ressemble beaucoup aux démarches loufoques et impossibles que l’on faisait faire aux naïfs le 1er avril. En effet, l’expression « Faire un poisson d’avril », dans le sens de faire faire à quelqu’un une démarche inutile est attestée au xviiie siècle. Il en va de même au xixe siècle où l’on envoie les naïfs chercher des choses improbables, comme le moule à boudins, la pierre à aiguiser le crin, dix sous de queues de grenouilles ou de pain mangé, la corde à tourner le vent, etc. En Haute-Bretagne, lorsqu’une personne se laisse attraper, ceux qui l’ont grugée courent au-devant d’elle avec une poêle à frire en criant : « Poisson d’avril ! Poisson d’avril ! » et l’on fait mine de le mettre dans la poêle en disant qu’on va le faire frire (P. Sébillot, 1886).
Vers la fin du xixe siècle, la tradition s’est affaiblie, tout en perdant son sens premier. Elle n’est plus guère perpétuée que par les enfants et leurs farces, dont celle qui consiste à maculer le vêtement des passants ou l’orner de quelque objet. En Franche-Comté, par exemple, ils découpent un morceau de drap en forme de rat, le recouvrent de craie et le frottent sur les manteaux noirs de celles et ceux qu’ils rencontrent. Ils accrochent une queue de veau, de lapin, ou un chiffon sale et « celui qui arrive, sans recevoir de taloches, à attacher un rat mort à la robe d’une belle dame “tient le record” » (C. Beauquier, 1899). En 1903, Mme Vaugeois écrit : « Autrefois, le 1er avril, il était très ennuyeux de sortir dans les rues de Nantes, où l’on était exposé à toutes sortes de mauvaises farces. Les gamins, ce jour-là, attachaient, à l’aide d’une épingle, des queues de papier ou de longues guenilles aux habits des passants, et criaient ensuite : “Au lard ! au lard !” et, plus récemment, “Poisson d’avril !”. Il y a une dizaine d’années, ils découpaient dans du drap des souris, qu’ils frottaient de craie, et appliquaient ensuite sur le dos des passants vêtus de noir ou de couleurs sombres. Les ouvriers dont les ateliers donnaient sur la rue clouaient des sous entre les pavés, et se divertissaient à voir les gens essayer en vain de les arracher, puis ils leur criaient aussi : “Poisson d’avril !” Dans les grands ateliers, on envoyait les apprentis naïfs faire des commissions ridicules […]. Les peintres en bâtiment envoient encore leurs apprentis chez un confrère demander l’échelle à faire les plinthes, etc. Le confrère l’envoie à un autre, qui le renvoie à un troisième confrère, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le malheureux ait fait le tour de la ville. Toutes ces attrapes ont cessé presque complètement, sauf la dernière, et l’on peut maintenant circuler dans les rues de Nantes le 1er avril aussi paisiblement que les autres jours, sans craindre les mystifications plus ou moins spirituelles, et sans qu’on vienne vous crier : “Poisson d’avril !” » (M.-E. Vaugeois, 1903.)
Pour conclure et tenter de donner une explication à ce « poisson d’avril », l’hypothèse qui semble la plus cohérente est celle de la pêche au maquereau improductive en avril. Elle correspond à la version la plus ancienne de la farce, celle des courses inutiles où le naïf qui se fait prendre revient lui aussi « bredouille ». Il faut, en outre, souligner que le 1er avril ne comporte aucune dimension magique ou sacrée, à la différence du 1er mai, par exemple. Toutefois, en matière de folklore, les éléments ont tendance à s’agréger les uns aux autres et, en l’absence de textes, il est souvent difficile de retrouver le chemin qu’ils ont pris.
Marie-Charlotte Delmas, extrait du « Dictionnaire de la France mystérieuse ».